Entre mer et forêt primaire, ce voyage authentique au Panama est une exploration silencieuse et discrète où, à bord de nos « lanchas » barques de pêcheurs, nous découvrons un territoire préservé. De l’archipel des San Blas aux profondeurs de la jungle du Darien, nous rencontrons les communautés indiennes Gunas et Embéras et partageons leurs traditions. Nous sommes à la frontière de la civilisation moderne, une enclave vierge et sauvage.
Le Panama entre jungle et terre
Le Panama nous emmène vers un voyage authentique à la rencontre des Indiens et de nous-même. Au cœur du Panama, des communautés indiennes vivent, épargnées par l’histoire moderne. Sur la côte caraïbe, les indiens Gunas sont la seule nation indienne au monde à avoir obtenu leur autonomie. Leur archipel est constitué de centaine d’îlots recouverts de cocotiers et bordés par une grande barrière de corail riche en faune marine. Les villages se nichent principalement sur ces îlets mais quelques communautés se sont établies entre plage et forêt primaire. C’est le cas d’Armila, le village de Nacho niché à la frontière colombienne.
De l’autre côté, sur la côte Pacifique ce sont les indiens Embéras qui sont installés sur une plage blanche tournée vers l’océan qui semble ici infinie. Espace vierge entre le Panama et la Colombie, la forêt du Darien a été peu traversée, pas d’accès routier, juste des sentiers de jungle ou des petits rios qui nous emmènent vers les océans.

À la rencontre de la communauté amérindienne Guna
L'arrivée chez les Indiens Guna
J’ai embarqué à bord d’un petit avion d’Air Panama pour rejoindre Porto Obaldia, dernière enclave avant la Colombie. Là, Nacho m’attend avec sa lancha (grande embarcation à moteur qui sert de taxi entres les îles) direction la communauté Guna d’Armila. Les alizées soufflent à cette période de l’année (Février) et après un accostage un peu musclé sur une immense plage bordée de cocotiers, me voilà plongé au milieu des indiens, loin de tout, entre océan et jungle.
Nacho me présente à la communauté, lors du « congresso », réunion du village qui a lieu 3 fois par semaine et à laquelle chacun est obligé d’assister. En effet, chez les Guna la démocratie participative n’est pas un concept mais une réalité politique qui est appliquée depuis 1925, date de la révolte des Gunas contre l’intégration forcée voulu par le gouvernement et renforcé dans les années 1970 par l’adoption définitive d’une zone autonome guna par le parlement panaméen.

Le village d'Armila et ses habitants
Armila est un village dynamique et rieur d’environ 400 habitants. Des maisons en bois et bambous sur pilotis et des cases couvertes de coco se regroupent autour d’une cour privée et constitue des îlots qui s’organisent en ruelles de sable. Derrière l’école, il y a les terrains de sport où l’on joue au foot et au basket, il y a aussi un coin wifi pour surfer sur le net, à côté de la petite épicerie en bois. Parallèlement, tout ici respire l’intemporalité de la forêt vierge, les femmes restent vêtues avec leur habit traditionnel, les Mola, marquèterie de tissus célèbre dans le monde entier. La société est matriarcale, la femme est au centre de l’organisation traditionnelle.
La vie des indiens Gunas à Armila
La protection des tortues
Le soir, nous arpentons la plage pour surveiller la ponte des tortues. Celles-ci sont répertoriés, mesurée et les nids protégés. Un combat que Nacho mène depuis près de 15 ans, protéger les tortues, nettoyer les plages (où les vents et les courants viennent y déposer les plastiques du monde entier…), l’emblème d’Armila, une des plages les plus fréquentées de Février à Août pour la ponte.
« J’ai pu prouver la nécessité de protéger notre biodiversité comme un élément de notre culture Guna, et le congresso national Guna à interdit toute chasse et tout ramassage des œufs sur la comarca. Depuis quelques années, nous avons même créé le festival des tortues à Armila qui attire de nombreuses communautés alentour et des spécialistes de Panama -cuidad» me dit Nacho.
La récolte des bananes plantains
Nous allons récolter des bananes plantains dans sa « finca », sa ferme, à bord d’un « cayuco » petite pirogue en bois et nous remontons le rio. Je découvre une enclave précaire dans la jungle où poussent bananiers, caféiers, cacaotiers, papayers et quelques tubercules (yukas). Un système d’agroforesterie primitive qui suffit à alimenter la communauté en fruits et en féculents.
Pour récolter le régime de bananes, nous nous attaquons directement au tronc de la plante, à coup de machette que nous faisons courber vers le sol. Au préalable, Nacho à inspecter les environs avec un grand bâton pour faire fuir d’éventuels serpents ou araignées qui se réfugient souvent sous les feuilles du bananier. À l’aide de quelques palmes sauvages, Nacho nous fabrique une « Muchila » une sorte de sac à dos ou plus exactement un harnais végétal pour pouvoir transporter la récolte jusqu’au Cayuco. L’embarcation est chargée à ras bord et nous repartons vers le village. Gladys, la femme de Nacho nous a préparé le repas, bananes plantain frites, poissons, jus de papaye, riz parfumé à la coco…
Un mariage chez les Gunas
Autour de la maison de Nacho, tout le monde s’affaire, la plus jeune fille de la famille se marie et son futur époux va intégrer la famille de sa femme et porter le nom de celle-ci. Chacun vient chez Gladys pour s’apprêter. Le principal ornement lors de cérémonie est la réalisation des peintures corporelles. Une teinture noire est obtenue à partir du « jagua », et le rouge à partir de « l’achiote ». L’application se fait avec des bâtonnets en bois en forme de fourchette de une à quatre dents. Le pigment est incrusté dans la couche externe de la peau et reste indélébile jusqu’à ce qu’il soit exfolié naturellement – lors du renouvellement de la peau – en 10 ou 12 jours. Le promis se place au centre de l’assemblée dans un hamac où il sera aspergé d’eau par ses amis et les autres membres de la famille. Musique traditionnelle, cacao, jus de canne fermentée, je m’endors en écoutant au loin la fête, les rires et la musique.

À la rencontre d'autres communautés amérindiennes Guna
Les indiens Guna d’Anachucuna
Le lendemain, nous remontons à bord de la Lancha pour rencontrer d’autres communautés Guna, tout d’abord nous nous arrêtons à Anachucuna, la première implantation de la communauté. Habituellement tous les villages Guna sont installés sur des îles, Armila et Anachucuna sont des exceptions. Nous faisons connaissance avec la chamane et elle nous parle des origines de la vie, de la présence de la « Pacha mama » la Terre- mère dans tous les processus de l’apprentissage : les Kuna, ou Guna ou encore Cuna s’appelait à l’origine les « Tulé » qui signifie « les hommes humains ». Le nom donné à l’Amérique par les Guna est Abya Yala, « terre dans sa pleine maturité ».
Les indiens Guna de l'île de Calédonia
Nous reprenons la mer pour aller à la rencontre des indiens de l’île de Calédonia. Le village commence sur les flots et bâti sur pilotis, même les cochons ont une cabane au dessus de la mer (pratique pour le nettoyage). Derrière, une lagune ourlée de cocotiers abrite un massif corallien peu profond et prolifique. Nous sommes en plein cliché des îles caraïbes et en même temps au milieu des communautés autonomes indiennes qui vivent ici sans hôtels, sans catamarans ou autres centres de plongée… Un rêve.

Rencontre avec Pablo, indien Guna
L'huile de coco et les indiens
A Mamitupu, nous rencontrons Pablo qui a développé l’extraction d’huile de coco :
« Pendant longtemps la noix de coco était une monnaie que nous échangions avec les afro-caribéens venant de Colombie. Depuis quelques années, ce commerce a souffert, nous avons donc décidé de fabriquer notre propre huile de coco et de la vendre à Panama ».
Un commerce difficile malgré des analyses qui classe cette huile parmi une des plus pures d’Amérique centrale. Mais les débouchés sont difficiles à trouver lorsque l’on est un indien Guna qui vit sur son île. Pablo me raconte ces anciens temps où les Guna vivaient coupés du reste du continent (son enfance en fait il y a 30 ans à peine) « Ici, ce sont les vieilles qui décident et affectent les travaux aux différents membres de la communauté. »
Les esprits chez les indiens
Nous entretenions nos histoires en Guna et notre relation avec la Pacha Mama, l’esprit primordial de la forêt. Ce faisant Pablo sort une bassine pleine de fétiches « le nuchus » et m’explique que ceci ont été activé par sa nièce qui s’est révélée être une chamane vers l’âge de 10 ans. Les chamanes (nele) doivent entrer en contact avec les esprits, dialoguer avec eux et les convaincre d’apporter la guérison. L’esprit du chamane doit alors voyager dans les huit couches du royaume. Il y a les esprits du mal (boni) et pour les combattre les nuchu qui sont des statuettes en bois représentant des hommes d’une taille de 20/30 cm de hauteur.
« Nos traditions restent fortes, et nous avons adopté au congresso l’apprentissage obligatoire de la langue Guna à l’école, ainsi que les plantes médicinales ».
Le tourisme et les indiens
Je lui demande alors s’il ne craint pas que l’ensemble de cette culture Guna ne soit affectée par le tourisme « Nous défendons un tourisme communautaire et nous ne voulons aucuns investissements étrangers ».
La cabane où je dors donne sur un bras de mer avec pour horizon une île couverte de cocotiers. Une planche est appliquée contre ma porte. « Il y a quelques jours, un voyageur s’est réveillé avec un crocodile à coté de son lit » me dit Pablo. Je m’endors un peu aux aguets quand même mais sans grandes inquiétudes.
Autour de Garti et de Provenir, nous retrouvons le tourisme de masse, avec l’arrivée des croisières et la multiplication des « cabañas » pour héberger les touristes de passage.
« Les photos, l’alcool et la drogue arrivent avec les jeunes qui viennent faire la fête sur les îles…Ils transforment notre image et notre patrimoine. Nous avons besoin d’un tourisme communautaire régulé et responsable. Nous devons aussi échanger avec les étrangers pour permettre à la nouvelle génération de pouvoir vivre ici sans être obligé d’immigrer vers la Ciudad… » me dit Nacho.
« Doynuedi » Nacho et Pablo (merci en Guna).
Voyage authentique vers la jungle du Darien
Nous sommes à Pijibasal, aux portes du parc national du Darien, au pied de la montagne du Piré, entouré des bruits de la forêt. Je ressens la respiration de la Pachamama qui m’attire en son sein. J’ai envie de m‘y enfoncer, de m’oublier au milieu de ce délire de vie. Marcos mon tukaya (homonyme) m’emmène sous une pluie battante au cœur de la forêt à quelques encablures du village.
Randonnée dans la forêt Darien
Nous sommes à Pijibasal, aux portes du parc national du Darien, au pied de la montagne du Piré, entouré des bruits de la forêt. Je ressens la respiration de la Pachamama qui m’attire en son sein. J’ai envie de m‘y enfoncer, de m’oublier au milieu de ce délire de vie. Marcos mon tukaya (homonyme) m’emmène sous une pluie battante au cœur de la forêt à quelques encablures du village.

Au coeur de ce riche écosystème
Nous cheminons sur des sentiers à peine tracés où s’affairent des fourmis en longs rubans transportant des feuilles et des coques de fruits. Sous les arbres, il ne se passe rien ou pas grand-chose, tout est en haut, dans la canopée : singes hurleurs, oiseaux, paresseux, papillons… C’est en débouchant sur un rio que la forêt s’ouvre enfin et laisse pénétrer quelques rayons de lumière.
Baignade dans les eaux tièdes et cristallines, glissade dans les cascades, la vie fourmille autour de nous sans nous déranger. Nous grimpons de nouveaux entres les troncs d’arbres, vers un promontoire rocheux et là, nous avons une vue sur la cime des arbres. Ça bouge dans tous les sens, perroquets, singes capucins et sur une haute branche, un nid épais fait de branches mortes, la plus belles surprise… l’aigle Harpie, rapace féroce emblème du Panama.
Nous rentrons au village à la nuit, tout est mouvant et résonnant autour de nous, je talonne Marcos de près car je n’ai aucune envie de me retrouver seul au milieu de cette multitude de vie dont j’ignore tout. Il sent mon inquiétude et ça le fait rire.
Le village est circulaire : au centre la case communautaire où l’on reçoit les visiteurs constituée également d’une cuisine collective où Luliana s’active autour d’un feu et de grosses gamelles. Tout autour brûlent les foyers de chaque famille, un sentiment d’invulnérabilité et de sécurité s’installe en moi tandis que je fais sécher mes vêtements près du feu.
Une journée au village Pijibasaldes Emberas
Ça rie beaucoup. Les petits sont sur un radeau dans le rio, ils fonts des glissades dans la boue. Je me sens bien, je suis au bout du monde accueilli comme un ami de la famille. Nous allons voir les plantations, et je passe du temps à regarder les femmes préparer les fibres de palmier pour les paniers. La vannerie Embera est d’une finesse extraordinaire, et les motifs issus de la cosmogonie de la tribu. C’est Dabeiba, la belle fille de Karagabí, Seigneur du Ciel, qui enseigna au peuple Embera, tout : les plantes, les animaux, l’agriculture, les peintures corporelles, l’artisanat. Le soir, une partie de foot s’improvise, tous les jeunes sont là, filles et garçons, on s’amuse beaucoup.
La peinture corporelle des Indiens
Nous parlons des traditions et de la peinture corporelle. Elle représente et communique les attitudes sociales qui sont générées par l’individu envers le collectif et vice versa, leur relation avec les mondes visibles et invisibles. C’est par la peinture que l’individu s’identifie et est accepté sur le plan quotidien. Elle permet également au « jaibaná » de communiquer avec le monde des esprits, où chaque plante, chaque animal, chaque élément a une place dans le cosmos et une raison d’être. Les danses célèbres les animaux, le serpent, le jaguar, la tortue…seuls les jaibanás (chamanes) peuvent accéder aux niveaux essentiels.
Rencontre avec les amérindiens Emeras de Play Muerto
Voyage en pays Darien
Nous reprenons la lancha pour un passage à « La Palma » capitale du Darien, un village afro caribéen qui s’étage sur une colline, à l’embouchure des fleuves sur le golf de San Miguel. À la Palma, c’est une ambiance à l’haïtienne, combat de coq, musique à tue tête, rhum et bière à gogo, maisons colorées avec balcons et fioritures en bois. Mais autour c’est le fleuve qui s’élargit, la forêt vierge et les tribus qui vivent là, quelque part. Nous continuons notre progression, passons les ruines du fort espagnol qui protégeait La Palma et l’or pillé aux incas pour se retrouver dans le golf immense juste avant l’océan. Là des dizaines de dauphins viennent dans notre sillage, on ralenti, on coupe les moteurs et on frappe sur le fond de la lancha. Ils s’approchent, nous entourent, graciles et amicaux.

Le village Emberas de Playa Muerto
Nous passons l’embouchure de grands fleuves comme « el rio Sambu » pour aborder l’océan et accoster à Playa Muerto, une langue de sable noire qui s’étend loin vers le sud. Cet endroit est réputé pour ses naufrages, nous ne pouvons accoster qu’à marée haute, la passe est minuscule et seules les embarcations légères peuvent y accéder.
Elizear nous accueille et nous présente la communauté. Le village est niché sous les cocotiers, avec de grand carbet confortable sur lesquels brûlent les feux de la cuisine. Il y a quelques petites boutiques, des jardins, tout est impeccable, propre et organisé. Un rio et un petit lac s’ouvrent sur les montagnes envahies par la jungle. Le ressac de l’océan est omniprésent.
Cet espace habité par l’homme n’est qu’une anecdote dans l’immensité de la nature. Le soir, nous mangeons des poissons de la pêche du jour, les femmes et les hommes nous maquillent de symboles et de formes mystérieuses. A la lueur du feu, on aperçoit l’orée presque menaçante de la forêt terriblement présente autour de nous pour nous accompagner pendant cette veillée du bout du monde rythmée par les danses et les chants.
Il n’y a pas de route, seuls quelques sentiers dans la jungle qui partent vers la Colombie et le Pacifique. Au loin il y a des cachalots, nous montons sur un promontoire et distinguons vaguement des formes dans les vagues. Ici nous sommes comme à l’origine de l’homme, bercé par la mer et enlacé par la forêt ? Est-ce que c’est le bout du monde ou bien son commencement ?
Je n’ai pas la réponse et je regagne Panama city, les grattes ciel, les bars à la mode du Casco Viejo, les supers portes containers qui transitent sur le canal (les plus gros bateaux du monde), les embouteillages, les porches Cayenne qui côtoient les derniers 4×4, mais je ne ressens rien. Tout cela n’est que du décorum loin de la réalité, la Pachamama, m’a touché, m’a soufflé dans l’oreille. Je rentre en ne pensant qu’à une chose, quand y retourner ?
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